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Ah Arwa! Que c’est dur de te voir mourir alors que tu es si belle, si jeune et si cultivée.
La-femme (Le drame d’Arwa Troudi) – Quand ta voiture a été percutée violemment par derrière par un chauffard, tu as perdu totalement son contrôle. En une seconde, ta vie a été brisée. Tout a basculé. Tu te retrouves de l’autre côté du miroir, coincée dans une voiture renversée, piégé par ta ceinture de sécurité qui, pourtant, t’a sauvé d’une mort instantanée mais sans te protéger du grand choc qui te broie, te dévore et te tue.
Tu t’es évanouie, mais pendant plusieurs minutes tu n’as pas encore perdu totalement connaissance malgré la violence du choc. Tu es entre la vie et la mort. Tu peux être sauvée. Tu es jeune, pleine d’énergie et de force en bonne santé. Tu as toute la vie devant toi, tu aimes le sport, les chansons. Tu es combattive et tes amis et tes collègues admirent ton sourire, tes éclats de rire, ton amour de la vie. Ta passion pour les livres, les revues, l’histoire. Tu aimes voyager non pas dans l’espace mais dans le temps grâce aux ouvrages, aux BD, aux journaux. L’acte de lire est, pour toi, plus qu’une activité intellectuelle, mais une expérience qui t’enrichit et affine ton goût pour la création littéraire.
Tu aimes ainsi écrire, traduire tes multiples sentiments mais tu es médecin et tu sais que dans ce type d’accident très grave, chaque seconde compte. Tu es en train de perdre beaucoup de sang et tu vas t’évanouir. L’auteur de l’accident doit rapidement agir pour t’aider, appeler le SAMU, te parler et tu peux guider les gestes qui pourraient te sauver! 12 années d’études en médecine et de longues nuits de stage dans les services d’urgence t’ont appris à sauver des vies d’une mort certaine. Mais bon Dieu, pourquoi ce conducteur tarde-t-il à venir ?
Pourquoi reste -t-il si loin de toi? Soudain, quand tu entends le bruit du moteur d’une voiture si proche de toi, tu comprends que ce chauffard ne viendra jamais te voir. Le lâche s’est enfui sans apporter d’assistance à une personne en danger.
Pour la première fois de ta vie, tu te sens si seul, abandonné à ton triste sort. Tu n’arrives ni à pleurer, ni à crier, ni à bouger. Ton téléphone est bien là si proche, mais tu n’arrives pas à le toucher; ton sac est si proche et si loin et ta main est presque paralysée, immobilisée. Pourtant, tu es combattive; tu n’as jamais échoué dans tes examens tout au long de tes études; tu n’as jamais également échoué dans les épreuves de la vie Tu as toujours réussi à surmonter toutes les difficultés. Ta tendre mère qui t’a aimé, encadré t’a appris dès ton jeune âge à compter sur toi-même, sur ta propre force.
Tu arriveras certainement à surmonter cette nouvelle épreuve. La route de la Marsa est toujours animée et des conducteurs et des témoins vont s’arrêter, venir rapidement pour te secourir. Mais, c’est étrange. Tu sens une présence, un frôlement, un mouvement presque indistinct. Au fond de ta solitude, tu devines la présence voilée et fuyante d’un être indéfinissable que tu n’arrives pas à voir, mais tu sens qu’il est proche et lointain…
Brutalement, tu sens qu’il s’agit d’une main qui est en train de te tâter, Non ce sont plusieurs mains, des mains affreuse, sèches, très longues avec des doigts crasseux, des ongles sales. Est-ce des pattes d’animaux? Non ce sont des mains d’hommes plus sauvages et plus féroces que les animaux. Des hommes-loups. Comme médecin psychiatre, tu sais que les frontières entre l’homme et l’animal ne sont pas infranchissables et que chaque être humain est traversé par Eros et Thanatos, par l’amour et la mort, par la pulsion de la vie et par la pulsion de la destruction! Ces mains sauvages doivent appartenir à des colosses impitoyables, des bandits qui sont en train de tout te prendre: ton argent, ta montre, ton téléphone. Tu as envie de t’adresser à eux et de crier.
Prenez tout ce que vous voulez, mon sac, ma carte de crédit, mon argent, mon portable, ma voiture mais laissez-moi ma vie; laissez-moi vivre. Ne m’abandonnez pas. Prenez tout mais aidez-moi. Mais tu n’as pas pu parler ni crier. Tu ne peux pas parler ni bouger. Même tes larmes n’arrivent plus à couler; elles sont figées sur tes joues.
Tu ne vois plus rien; tu respires de plus en plus difficilement. Tu as compris que c’est la fin et que même si on t’amène à l’urgence tu sais qu’aucun médecin ne pourra te sauver, car ton cœur affaibli est irrémédiablement endommagé. Ces sauvages ont tout pris même ta vie et ont disparu dans l’obscurité.
Ah Arwa! Que c’est dur de te voir mourir alors que tu es si belle, si jeune et si cultivée. Que c’est dur de te voir partir définitivement alors que tu commences juste à vivre, à aimer, à rêver, à construire tant de projets, à concevoir le plan de beaux livres que tu vas élaborer, toi l’écrivaine.
Ah Arwa! Pourquoi sommes-nous devenus si agressifs, si violents? Qui ose percuter violemment une voiture et fuir en laissant mourir la conductrice? Qui ose profiter de cette tragique situation, et voler une agonisante au lieu de la secourir? Des sauvages! Des bêtes féroces!
Dors en paix Arwa! Tes agresseurs ont été rapidement arrêtés et seront sévèrement punis et ce sont des centaines de milliers d’internautes qui pleurent ta disparition et qui expriment leur solidarité avec ta famille. C’est toute la Tunisie qui souffre et qui pleure son héroïne.
Toute la Tunisie qui est en colère. Je, tu, nous sommes tous Arwa Troudi! Tu es notre fille, notre bien-aimée, notre amie, notre sœur, notre épouse. Ta mort est un scandale, elle nous blesse, nous bouleverse, nous fait souffrir. Nous ne supportons plus de voir des Tunisiens agressés mourir. Nous demandons aux autorités de lutter efficacement contre la violence et la délinquance qui règnent dans nos villes et sur nos routes. Rabbi yarhamik Arwa.
Par Arselène Ben Farhat
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