La Femme (Zeyneb Farhat) – Quand Zeyneb Farhat vous appelle au téléphone, c’est toujours une invitation pour quelque chose de Beau. Une pièce de théâtre, un film, un article lu, une rencontre et même une escapade à deux, le temps de rêver ensemble. Les rêves de Zeyneb sont concrets, et l’invraisemblable est, avec elle, possible. Elle adorait l’insolence, à cheval sur les principes égalitaires sans être bornée. Une intelligence douce, une écoute exceptionnelle.
Quand le téléphone sonne et il y a Zeyneb au bout du fil c’est une belle histoire qu’elle raconte, un projet qui la passionne, sa voix déterminée développe le projet… Et elle propose une escapade à la mer à Nabeul, son havre de paix. Je conduis et elle parle… Cigarette après cigarette elle ne perd pas le fil des idées, je conduis et… Elle construit l’avenir avec confiance, le présent continue à se poursuivre dans les détails d’une virée pour faire les emplettes pour le week-end.
Une fois chez elle, personne ne sort, sauf pour une baignade, prendre le soleil ou une petite sieste sur le sable. Allongée, les idées fusent. Les discussions sont interminables et le week-end en tête-à-tête ou avec quelques amis devient un laboratoire de projets.
La dame au chapeau ramasse dans son couffin le meilleur de la vie, les bonnes choses et les petites feuilles d’un canevas.
Elle n’aime pas le conventionnel, c’est pour cela que je n’attendrais pas une célébration d’une mémoire, un quarantième jour, ou un anniversaire pour lui écrire ces quelques lignes. Zeyneb se niche dans la petite et la grande histoire de ce pays, dans les détails du quotidien. Dans un fou-rire, dans une recette, une table élégamment mise….et j’en passe
Militante sans le crier sur tous les toits, son engagement est actes, et quand tous les espaces se ferment il n’y a qu’El Teatro qui ouvre les bras.
Quand nous sommes allés la voir pour qu’elle accueille le ciné-club de Tunis, alors qu’il était banni de tous les espaces publics du temps de la dictature. Je me rappelle, qu’avec Taoufik Jebali, son compagnon de route, elle a commencé à effacer, avec une gomme blanche du planning de la salle, les réservations de location, pour nous dégager grâcieusement un jour par semaine pour nos projections/débats.
Elle est héroïque au quotidien, critique par rapport à tout, appelant tout le temps à l’auto-critique qui est, pour elle, le point de départ de tout changement.
Zeyneb, l’intellectuelle, l’activiste culturelle et sociale, sait transformer les questions d’ordre public en projets artistiques. Etre Noire dans la verte, Savoir Savoir, femmes, résistance et création, DAMA danser dans la Méditerranée arabe, mon quartier, ma fleur, Couleur pourpre dans la grande bleue…sont tous les témoins de la subtilité de cet être, qui, par sa douce insolence, ramène l’art vers sa vocation citoyenne. Elle y croyait dur comme fer de l’utilité de son engagement.
Elle m’a imposé, un jour, l’écoute de toute l’opérette Zenoubya des frères Rahabani, chantée par Feyrouz avant de me parler de la création de son association éponyme. Elle voulait déployer encore plus ses ailes avec des projets sociaux.
Le projet de la charrette du transport scolaire était une fierté pour elle. Elle en avait conçu les détails pour créer de l’emploi et de l’autonomie à ceux qui vont poursuivre l’aventure aussi bien au village de Echraf ou ailleurs où le projet fera des petits.
Au départ de Zeyneb Farhat, de nombreuses personnes lui ont rendu hommage, dans des articles, des posts, des chroniques….elle était essentielle pour nous tous, et elle avait tellement de subtilité, d’affection, d’écoute que nous nous sentions uniques.
Et même si Zeyneb est partie, pour moi et tant d’autres, elle est dans les infimes détails de nos vies.
(Asma DRISSI – La Presse)