La Femme (Jalousie) – Qu’est-ce qui se cache derrière la jalousie, d’où vient-elle, quand devient-elle pathologique ? La psychologue clinicienne Johanna Rozenblum nous répond.
Sentiment mal jugé mais très répandu, la jalousie est double. Proche de l’envie, la jalousie est un « sentiment hostile qu’on éprouve en voyant un autre jouir d’un avantage qu’on ne possède pas ou qu’on désirerait posséder seul », explique la version en ligne du Robert. En amour, toujours selon le dictionnaire, la jalousie est un « sentiment douloureux que font naître les exigences d’un amour inquiet, le désir de possession exclusive de la personne aimée, la crainte de son infidélité ».
Ressort dramatique de nombreuses fictions – films, livres, séries – la jalousie est un sentiment que l’on connaît tous ou presque et dont on est rarement fier. Il est sans doute l’un des sentiments que l’on cache le plus. Sauf en amour, où la jalousie est parfois perçue comme une preuve de l’attachement à l’autre.
Top Santé : Qu’est-ce que la jalousie et d’où vient-elle ?
Johanne Rozenblum : La jalousie est un sentiment d’envie à l’égard de quelqu’un qui possède ce que l’on n’a pas ou ce que l’on cherche à avoir. Elle est souvent accompagnée d’affect ou de comportements désagréables comme l’aigreur, l’hostilité ou le rejet par exemple.
Pourquoi est-on ou devient-on jaloux ?
C’est un sentiment qui vient souvent de la petite enfance. La jalousie peut apparaître par exemple à la naissance d’un frère ou d’une sœur puis il s’enracine dans nos schémas de pensée. Cela peut par exemple se produire à l’arrivée d’un bébé. Le grand frère ou la grande sœur se dit alors: « le bébé qui arrive vient comme me voler une place précieuse, me prendre l’amour de mes parents, il me prive de ce que je possède, il a des privilèges que je n’ai pas ou plus ».
En plus d’un événement déclencheur dans l’enfance, un tempérament prédisposant ou des parents défaillants sont-ils également présents dans l’équation ?
L’histoire de la jalousie est multifactorielle, elle dépend de la personnalité, de notre éducation, des événements de vie traversés et de l’analyse que nous en faisons.
Qu’est-ce que la jalousie dit de la personne jalouse ?
On est jaloux quand on a peur, quand on manque de confiance en soi ou qu’on se sent menacé… Si je pense que ma valeur est conditionnée par mon statut, mes compétences ou ce que je possède, tout ce qui viendra remettre en question cela sera perçu comme une attaque, une mise en danger de mon identité même.
Menacé de quoi ?
Le jaloux se sent menacé de ne pas être considéré et de disparaître au yeux des autres. Lorsque l’on manque d’estime de soi, on existe parfois en « possédant » et lorsqu’il y a dépossession ou que l’intérêt de l’autre se porte ailleurs, c’est à ce moment que le sentiment de jalousie explose. Parce qu’il faut bien garder en tête que la jalousie est d’abord le signal d’une souffrance personnelle, de mésestime de soi.
De qui est-on jaloux ?
De celui qu’on n’est pas et qu’on ne sera jamais, de celui qu’on aurait aimé être, de celui qu’on croit nous menacer. Il y a toujours cette notion de l’autre qui a ce que je n’ai pas, qui est ce que je ne suis pas.
La personne de nature jalouse est-elle jalouse de tout le monde ou est-elle jalouse seulement d’un même type de personne ?
La jalousie ne s’exprime pas forcément dans toutes les sphères de la vie. C’est un sentiment qu’on retrouve davantage dans la sphère privée, surtout la vie amoureuse ou familiale.
La jalousie est souvent le moteur de fictions. Et cela se termine souvent mal. A quel moment faut-il s’inquiéter de sa jalousie ?
Si la jalousie est partout, tout le temps, que l’on ne parvient plus à s’en rendre compte et à critiquer sa pensée, si cette jalousie commence à générer des pensées noires, une volonté de vengeance ou un comportement répréhensible alors il est primordial de s’interroger sur l’aspect pathologique de sa jalousie. Dans des cas extrêmes, la paranoïa peut conduire à des passages à l’acte et menacer l’intégrité psychique de la personne jalouse. Il faut donc être attentif à certains comportements associés tel que le stalking, ou le harcèlement moral par exemple
En amour, la jalousie est souvent perçue comme normale. Elle est même parfois présentée comme sine qua none à un amour véritable. « L’amour sans jalousie est un bien faible amour », cette citation anonyme résume bien l’idée qu’on se fait parfois de la jalousie dans une relation de couple. Qu’en pensez-vous ? La jalousie peut-elle avoir de bons côtés dans une relation amoureuse ?
Il s’agit toujours de mesure! La jalousie peut être saine si elle est prise comme un jeu de séduction qui permet avec un trait d’humour de souligner qu’on est attaché à l’autre et que cet autre nous est précieux. Si la volonté est d’isoler ou de posséder, elle n’a rien de positif pour le couple et créera à terme du conflit.
Donc selon vous, la jalousie n’est pas une preuve d’amour ?
Non, pas du tout ! La jalousie n’est absolument pas un témoignage d’amour. C’est une erreur de le penser! La jalousie génère de la souffrance pour celui ou celle qui la subit et est le symbole d’un profond malaise pour celui ou celle qui en ressent en excès.
Quand doit-on remettre en question la jalousie de son.a partenaire ?
Lorsque la jalousie devient en réalité de la méfiance et conduit à des comportements dysfonctionnels comme de la menace verbale, physique, psychologique, du stalking, du harcèlement, alors il faut s’inquiéter. Lorsque la parole n’a plus de poids et que seules les fausses croyances prennent le dessus au point de devenir, aux yeux de la personne jalouse, la réalité, alors il faut s’interroger sur le caractère pathologique du sentiment. Si la personne souffre de dépression, d’anxiété, d’un trouble de la personnalité, de paranoïa… la jalousie peut être vue comme un symptôme. Il peut donc être nécessaire de s’interroger sur l’état de santé psychique global de la personne pour comprendre si la jalousie est un état émotionnel transitoire ou le signe d’une pathologie plus profonde.
On a tous, ou presque, au moins une fois dans notre vie ressenti de la jalousie, en amour et à l’égard d’une autre personne. Comment gérer ce sentiment négatif mais fréquent ?
Comme je le disais tout à l’heure, il s’agit toujours de mesure. La vie peut parfois nous mettre dans des situations de déséquilibre, des situations qui ne jouent pas en notre faveur. Il faut savoir le reconnaître et manager avec ce sentiment « d’injustice », que ces situations déclenchent, et qui peut générer de la jalousie. Idéalement, ce sentiment de jalousie doit rester un état émotionnel transitoire.
L’absence totale de jalousie est-elle normale ? Pourquoi ?
Oui, je pense que la jalousie n’est ni une obligation, ni un moteur. Un bon équilibre entre estime de soi, amour propre et confiance en soi peut certainement permettre d’éviter de ressentir de la jalousie.
Peut-on contrôler sa jalousie ?
Oui bien sûr ! La clé est de devenir son propre expert, en travaillant sur son trouble et en étant capable de critiquer son comportement. Comprendre ce qui crée la jalousie chez soi peut nous informer sur des problématiques plus profondes sur lesquelles il pourrait être intéressants de travailler.
Quels conseils peut-on donner à une personne jalouse afin qu’elle soit armée pour lutter efficacement contre sa jalousie ?
Comprendre l’origine de cette émotion est primordiale, essayer de repérer à quel moment la jalousie et les pensées dysfonctionnelles se déclenchent et anticiper les situations qui nous fragilisent. Ensuite, lorsque l’émotion nous envahit, il est encore temps de travailler dessus, de ne pas adhérer à certaines pensées en faisant le travail cognitif qui permettra de se raisonner. Enfin, demander l’aide d’un psychologue peut s’avérer précieux pour évoquer ses pensées et ses affects sans jugement, comprendre l’histoire de sa jalousie, se réconcilier avec son passé ou travailler son estime de soi.
(Top santé)